La Normandie. Ce petit village
Manchois. Des champs et des bois à perte de vue. Un paysage
vallonné, des routes sinueuses, et des petits chemins de traverses.
J'aime y faire du vélo. Rien de tel
que de faire un tour de quelques kilomètres, pendant 15 ou 30
minutes. Les voitures sont rares, voire inexistantes selon les heures
de la journée. C'est le genre d'endroit où l'on peut rester près
d'une heure sur une portion de route sans qu'aucune voiture ne passe,
sans croiser personne, à condition de connaître les bonnes heures.
De la même manière, les petits tours sont dénués d'un fort
trafic routier, ce qui donne un fort sentiment de liberté. Libre d'être
seul sur ces routes. Chaque effort de montée est récompensé par
une belle descente. Un peu de douleur pour un peu de sensations
fortes, mais pour beaucoup de bonheur.
Les voisins sont devenus des amis, et
d'année en année j’étends mon cercle de connaissance. Il n'est
pas rare que j'organise des « sorties vélo » avec les
plus jeunes d'entre-eux, l'occasion pour moi de profiter pleinement
de ces journées. 11 ans que j'y viens, soit la moitié de ma vie.
Alors pourquoi ne pas vivre ici ?
Habiter ici à l'année ? Rêve ou utopie biaisée je ne sais
pas. J'ai longtemps hésité, et je dois avouer que c'est encore la
cas, mais une chose est sûr, c'est que ce n'est pas pour
aujourd'hui.
J'aime vivre ici. J'aime m'y sentir
chez moi.
J'aime le calme et la tranquillité qui y règnent.
Je viens ici en été, autrement dit au
meilleur moment de l'année, ou en tout cas le moment le plus propice
pour profiter d'un certain nombre de avantages de la région.
Sauf qu'il ne faut pas oublier de
garder les pieds sur terre et d'être réaliste.
Heureusement, certains éléments sont
là pour me le rappeler, à commencer par l'ensoleillement.
Dès que j'y viens début juillet, il
m'arrive souvent de traîner le soir en vélo, jusqu'au coucher du
soleil, aux alentours de 22h30. Mi-août, il est évident que l'on a
perdu quelques minutes de soleil chaque jour depuis le solstice d'été
du 21 juin. On s'en rend surtout compte passé le 15 août où il n'y
a plus grand chose à faire dès 21h00, faute de soleil. Non
seulement il fait nuit plus tôt, mais il fait gris, maussade,
nuageux et brumeux. Et parfois, voire un peu trop souvent, pluvieux.
La pluie. Indissociable de la
Normandie, la pluie est à la fois un symbole de réalité et de
clichés.
Oui il pleut. Mais pas tout le temps,
pas partout, et pas toujours de la même façon. Et puis comme le dit
le proverbe « il ne pleut que sur les cons ». Comprenez
que la pluie, plus on s'en plein, plus on la subit. Alors que plus on
fait avec, moins on la remarque.
Un petit crachin matinal, quoi de mieux
comme brumisateur naturel lors d'une sortie vélo ?
La vraie pluie désagréable n'est pas
unique, elle réside en une accumulation de situations spécifiques.
Vent en rafales, pluie dense, régularité, constance, averses, font
autant de facteurs qui rendent la pluie insupportable.
On en arrive donc à l'un des aspects
les plus négatifs de vivre en Normandie, en tout cas de séjourner
dans le bâtiment même où j'ai passé les 11 derniers étés.
Si la pluie en elle même n'est pas si
dérangeante, elle contribue toutefois à nous pourrir la vie. Être
bloqué à l'intérieur à cause d'une série d'averses est d'autant
plus dérangeant si cela dure des journées entières.
Ensuite, à un niveau moins dense ou
moins régulier, la pluie à cette capacité à limiter les
déplacements en extérieur. Peut-être qu'il n'a pas plus depuis
hier soir et qu'il fait ciel bleu et ensoleillé depuis ce matin,
mais ce n'est pas pour autant que les flaques se sont évaporées,
que la gadoue s'est desséchée ou qu'il n'y a plus aucune gouttes
d'eau sur les routes. Dans ces conditions, on peut dire adieux aux
balades pédestres en forêt, dans des chemins de traverses, et même
aux sorties vélos.
Enfin, vient l'horreur de certaines
nuits où il est parfois impossible de dormir lorsque pluie et vent
se mélangent sous formes de rafales au travers desquelles la nature
se déchaîne. C'est dans ces moments où mon envie de vivre toute
l'année dans cet endroit est fortement remise en cause.
Début septembre. Voilà sept jours que
je suis de retour en région parisienne. De retour chez moi, là où
je suis né, là où j'ai grandi, là où je vis depuis toujours.
Ma première impression ? J'ai le
sentiment d'être cloisonné, enfermé, oppressé. Que ce soit en
appartement ou dans un pavillon avec jardin, j'éprouve cette même
aigreur, cette même oppression, comme si j'étais dans une prison à
ciel ouvert. Du goudron à perte de vue, et à en perdre l'odorat vu
les relents de pétroles émis sous l'effet de la chaleur. Les
maisons sont les unes sur les autres, alignées dans de longue rue
qui les enfermes dans des pâtés. Les jardins semblent bien
ridicules en comparaison de la Normandie. Il faut dire aussi que ce
n'est pas comparable. D'un côté on a des maisons bâties sur
terrains individuels, elles mêmes encadrées par d'autres maisons.
Et de l'autre on a d'immenses terrains bien souvent entourés par des
champs et des bois. Les notions d'entassement et d'espaces dégagés
ont alors tous leur sens. Impossible de se déplacer sans croiser
personne. Faire du vélo devient plus contraignant qu'autre chose, au
vu du nombre de dangers potentiels. La sensation de liberté est
alors beaucoup moins présente.
Fin octobre. Me voici de nouveau dans
la Manche, pour un court séjour de quelques jours. C'est seulement
la deuxième fois que j'y viens hors saison, la deuxième fois que je
m'y rend pendant les vacances de la Toussaint. Venir en train, c'est
aussi une occasion de voir du pays, et en l’occurrence de voir du
paysage normand d'automne. Rien de tel qu'un ciel bleu pour
contraster le dégradé vert jaune orange rouge des arbres, forets et
haies diverses qui bordent les champs. Les rayons du soleil semblent
apporter une note orangée aux décors.
En réalité, il s'agit du même soleil
que celui des soirs d'été, celui qui étalait les ombres vers
l'est, symbole si il en est des belles soirées d'été à la lumière
contrastée. Ce soleil qui se couchait à l'ouest en prenant son
temps, plusieurs heures durant lesquelles il annonçait tout en
douceur les fins des longues journées chaudes, devient en automne un
soleil bas, caractéristique de cette saison, donnant ainsi une
nouvelle vision des choses. Les journées ensoleillées semblent
hors-temps. Le fait d'avoir le soleil dans les yeux en plein milieu
de l'après-midi est tout autant surprenant que déroutant. C'est un
soleil réchauffant, parfois chauffant, au point qu'on ne sait plus
trop comment s'habiller dès que l'on pratique une activité en plein
air. Oui oui, ramasser des châtaignes, ça pique non seulement les
doigts mais ça chauffe aussi la peau.
Mais cela ne dure pas
longtemps. Dès 17 h, le temps se rafraîchit, le ciel s’assombrit.
Il fait vite nuit et il n'est alors plus question de faire un tour de
vélo, à moins que rouler dans le noir ne soit une passion cachée.
Car oui, il ne faut pas compter sur un éclairage publique puisqu'il
n'y a pas de lampadaire dans un rayon de 2 km autour de chez moi.
De
plus, l'état des routes d'automne laisse à désirer. Les routes
sont glissantes, faites d'un mélange de terre, de feuilles mortes et
de pluie. Glissades, risques de chutes, mais aussi vêtements
tachetés de terre sont à prévoir lorsque l'on prend son vélo en
pleine journée.
Enfin, la perception de ce qui nous
entoure est surprenante. Les odeurs sont spéciales, parfois
enivrantes, parfois écœurantes. Les fumiers se mêlent aux odeurs
des feuilles mortes et à l'humidité. Le vent rapporte des sons qui
semblent plus lointain qu'en été, comme si les arbres dénués de
leurs habillages lui avaient céder le passage pour qu'il déferle
plus de puissance. Les voitures se font moins entendre, signe qu'il
n'y a plus de vacanciers dans la région. En revanche, les coups de
fusils eux se font bien entendre, ce qui est en tout point
désagréable. Le fait que la chasse soit ouverte sur grande partie
de l'année implique beaucoup de précautions et de restrictions. Il
n'est plus question de se promener discrètement dans des sous-bois à
la recherche de calme et d'animaux, au risque ce se faire sois-même
tirer comme un lapin. Prudence est de mise, liberté à la remise.
Alors c'est bien beau d'être attaché
à la Normandie et de vouloir y vivre toute l'année, mais il faut
aussi s'y projeter dans l'avenir et ne pas se limiter strictement à
une ou deux expériences vécues qui ne seraient pas représentatives
du tout de la réalité de l'année entière.
Pouvoir observer que les journées
raccourcissent et que les nuits s'allongent dès le mois d'août et
en faire un nouveau constat en octobre est un bon moyen pour prendre
conscience que les choses sont loin d'êtres immuables tout au long
de l'année. Vivre en Normandie toute l'année signifierait ainsi d'être confronté à un certain nombre d'aspects désagréables tout
en étant dépendant des conditions météorologiques, sachant que
celles de l'hiver sont bien pires que celles que j'ai pu observer en
octobre. Pour faire simple, l'idée même de ne pas pouvoir profiter
pleinement de mon cadre de vie m' enlève d'avance toute réjouissance
et toute impression de liberté. J'en arrive donc à la conclusion
suivante : en l'état actuel des choses, au vu des travaux qui
restent à faire sur place et des conditions de vies qui m'imposent, mieux vaut
profiter de l'instant présent et notamment de mes proches que j'ai
encore la chance de côtoyer régulièrement en Île-de-France.
Jergame - Août, septembre, octobre et novembre
2015.
Pour mieux visualiser et pour mettre des images sur mes mots, retrouvez les Storify #ltn :
Mon périple manchois revient en live-tweet normand (#ltn) à partir du 11.07.2015 !
En attendant voici celui de 2014: https://t.co/U97bs9UaAh
— Jeremy ✏️ Jergame (@jergame) 10 Juillet 2015
Le Storify de mon séjour de 47 jours dans la Manche résumé en quelques tweets et parfois illustrés de photos. https://t.co/gStFiK7YC9
— Jeremy ✏️ Jergame (@jergame) 27 Août 2015
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